Chamane en milieu urbain au 21e siècle
Le chamanisme : est-ce un don ? Une tendance en vogue ? Faut-il prendre des plantes pour avoir des visions ? Qu’est-ce que cela peut apporter « ici », dans notre milieu urbain contemporain ?
Voici des réponses aux questions qui me sont le plus souvent adressées et que j’ai plaisir à vous partager, afin de vous faire connaître mon approche (personnelle) du chamanisme, ma pratique et certaines passerelles que j’espère voir naître entre la médecine moderne et le chamanisme.
Tu viens d’une lignée de guérisseurs. Est-ce une condition pour devenir chamane ?
Depuis la nuit des temps, Le chamanisme relie les hommes et les femmes au monde dans toutes ses dimensions : celles du visible, de l’invisible, de la matière, du spirituel… Je pense que chaque être porte en lui cet héritage mais qu’il l’a oublié. Pour ce qui est de « devenir chamane », ce n’est pas la mission de vie de tout le monde, même si le lien intérieur avec ces dimensions est là. C’est avant tout un appel qui vient à soi et auquel on choisit, ou non, de répondre, et ce indépendamment d’une lignée.
Dans ma famille, la tradition voulait qu’un guérisseur émerge une génération sur deux. Pour la 1ère fois, nous sommes trois générations successives à porter ce potentiel… parmi elles, je suis la seule pour le moment à avoir répondu à l’appel des esprits et de mes ancêtres. L’avenir nous dira si nos enfants seront portés par ce nouvel élan.
Pourquoi avoir choisi de vivre et proposer ta pratique chamanique en milieu urbain ?
C’est tout simplement là que je vis, que j’ai été appelée et que ma pratique est la plus pertinente, puisque je travaille énormément sur le lien au corps. Le rapport au corps est complexe, la déconnexion est plus accentuée ici, du fait de la sédentarité et d’un environnement économique de consommation omniprésent qui participent à « une absence à soi » que j’ai fortement ressentie en soin. C’est ce qui m’a amenée à proposer des ateliers qui intègrent la danse médecine. Le mouvement permet de retrouver de l’autonomie et les enseignements de la conscience. Cela permet aux personnes que j’accompagne de choisir de redevenir acteurs/actrices de leur chemin de transformation et de guérison.
Comment envisages-tu ta pratique chamanique dans un pays occidental comme la France ?
Je viens d’une lignée asiatique qui a été dispersée par la guerre et le communisme. Je n’ai donc pas été initiée « dans un cadre traditionnel » au sens où certains l’entendent, à savoir au bout du monde ou loin de la civilisation moderne. Je n’ai d’ailleurs pas reçu la transmission du vivant de ma grand-mère qui était gardienne de ce savoir. Je l’ai reçue « de l’autre côté » et mes ancêtres m’ont accompagnée et guidée tout au long de mon initiation, en parallèle à mon cursus au sein de la FSS (l’institut fondé par l’anthropologue Michael Harner). Ils m’ont transmis ce que j’avais à savoir sur leurs croyances et pratiques.
J’ai réalisé que si j’étais métisse et née en France, avec une clientèle essentiellement occidentale, c’est que j’avais à trouver « mon chamanisme » : une pratique qui ait du sens autant pour moi que pour les personnes que j’accompagne. Appliquer le modèle de mes ancêtres aurait été décalé avec mon environnement culturel actuel et mon histoire. J’aime garder une certaine sobriété dans mes rituels. Les pratiques des Anciens sont nos racines, mais le chamanisme est avant tout une dynamique de transformation et, de manière pragmatique, d’adaptation à l’environnement, que cet environnement soit une région montagneuse, une jungle naturelle ou une grande ville moderne. L’âme humaine restant intemporelle dans sa nature et ses besoins, je trouve naturel que le chamanisme continue d’exister dans la société actuelle et renaisse au fil des siècles sous différentes expressions.
Chaque praticien a ses rituels de prédilection, sa spécificité, en fonction de ses affinités, expériences et parcours de vie. Pour ma part, je suis surtout sollicitée pour des rituels de libération et de détachement (lignées, karma, dépendances), des séances de recouvrement d’âme et de restauration des énergies socles. D’ailleurs, j’aimerais beaucoup travailler en partenariat avec la médecine moderne, via certaines techniques de recouvrement d’âme.
Le recouvrement d’âme, c’est quoi ?
Il arrive qu’à la suite d’épreuves l’âme se fragmente. La partie blessée s’extrait afin de mettre de la distance avec ce qui la fait souffrir. Il peut arriver aussi qu’elle reste figée, bloquée dans l’évènement à l’origine de l’épreuve.
Dans la pratique chamanique, la notion de temps et d’espace n’existe pas, c’est pourquoi il est possible d’aller chercher la partie d’âme en retrait, quelles que soient l’époque et les circonstances qui ont créé la coupure intérieure. La partie en souffrance peut alors être restaurée, apaisée, et reprendre sa juste place. Le recouvrement d’âme permet ainsi de retrouver son intégrité originelle et ses ressources intérieures.
En quoi est-ce que le recouvrement d’âme te semble propice à une collaboration avec la médecine moderne?
La question du coma m’interpelle. La personne reste-t-elle dans le coma car son esprit est bloqué dans un autre espace, et à ce titre, le chamane peut-il aller le chercher pour l’aider à revenir? Si le retour dans le corps dépend de la personne qui est dans le coma, entrer en contact avec la part d’elle qui s’est extraite peut être bénéfique pour elle comme pour les proches.
Je m’intéresse aussi aux soins post-chirurgicaux de greffe d’organe. La question de la «mémoire cellulaire» reste controversée dans les milieux médicaux classiques : elle se pose pourtant. Pour moi, lorsque l’âme s’incarne, elle investit tout le corps qu’elle vient habiter : chaque cellule, chaque organe. Chaque expérience de vie s’imprime dans ce corps. Du coup, que se passe-t-il avec la part inscrite dans les organes enlevés/remplacés/donnés?
Certains départements de recherches universitaires aux Etats Unis ont enquêté et collecté des témoignages intéressant de personnes ayant bénéficié de greffes du cœur et qui avaient depuis des flashs ou comportements liés à la personnalité ou à la mort du donneur.
Il me semble que le chamanisme est approprié pour permettre à ces parts de retourner à leur juste place, en toute simplicité, grâce aux techniques d’extraction/restauration d’énergies et de fragments d’âme qui lui sont propres, afin que l’intégration de l’organe reçu n’implique pas de « porter une partie de l’histoire d’un autre ».
N’est-ce pas utopique d’imaginer une telle collaboration ?
Les milieux hospitaliers accueillent des coupeurs de feu et commencent à intégrer l’acupuncture et l’hypnose en anesthésie. Alors pourquoi pas un chamane en soin post-chirurgical de greffe d’organe ou en consultation dans un cas de coma prolongé? Il n’y a ni concurrence ni opposition ici, juste une complémentarité via des techniques qui prennent en compte d’autres dimensions.
Beaucoup de personnes s’intéressent aux visions chamaniques reçues grâce à des breuvages de plantes. Est-ce que tu utilises des plantes psychotropes, notamment de l’ayahuasca, lors de tes consultations et rituels ?
Les esprits de la nature ont une place importante dans le chamanisme. Pour autant, les plantes ne sont pas une « condition » au voyage. Les rituels avec prise d’ayahuasca viennent d’Amérique du Sud. Pour qu’un chamane propose ce type de rituel, il faut qu’une vraie rencontre ait eu lieu entre lui et l’esprit de la plante. La relation de respect et la capacité à recevoir les enseignements de l’esprit de la plante vont permettre au chamane de savoir comment et pour quoi l’utiliser et la proposer en soin et/ou rituel de manière responsable et sécurisée.
Personnellement, je ne pratique aucun soin/rituel qui implique l’ingestion de plante psychotrope, cela ne fait pas partie de la transmission que j’ai reçue et je n’ai pas été appelée par ce type d’expérience. La seule cérémonie à mon actif impliquant une ingestion de plante est celle du « Deva Cacao ». Ce rituel, qui vient de la civilisation maya, m’a permis de rencontrer l’esprit du cacao, plante qui ne génère ni hallucination ni dépendance. J’ai été saisie par sa puissance à la fois douce et solide et j’ai beaucoup reçu en sa présence.
Une expression chamanique universelle selon moi ? La musique. Elle peut accompagner la quête de vision, le rituel, le soin, le passage vers d’autres dimensions, que ce soit par le biais de percussions, de chants, de danse… Elle se pratique, se vit et se partage dans toutes les cultures, sous de nombreuses formes.
Taïs Roshem